CHAPITRE XVII

D’humeur morose, Yan Solo contemplait un des plus beaux couchers de soleil qu’il ait jamais vus.

Et il en avait vu beaucoup ! Mais quand l’astre diurne de Mon Calamari semblait toucher l’horizon, au bout de l’océan, en balayant les vagues de ses ombres, le ciel se transformait en un écrin de nacre…

Les couchers de soleil spectaculaires n’étaient pas rares, surtout sur des mondes ayant une atmosphère dense ou poussiéreuse. La beauté subtile, moins fréquente, se révélait plus difficile à appréhender. Parfois, il fallait toute une vie pour la comprendre.

Voilà pourquoi il était lamentable qu’il ne puisse pas en profiter à fond. Le problème ne résidait pas dans le spectacle : Yan aurait simplement voulu être ailleurs !

— Nous ne pouvons pas participer à toutes les batailles de cette guerre, souffla Leia.

— Quoi ? grommela Yan. Je n’ai rien dit !

— Ce n’est pas nécessaire. Depuis que les Soleils Jumeaux ont décollé, tu ne cesses pas de ruminer. En fait, depuis que Tahiri est partie…

— On aurait dû aller avec elle !

— Qui ? Tahiri ou Jaina ?

— Pile ou face !

— Jaina est une pilote de chasse. C’est ce qu’elle veut être, et c’est là qu’elle voit son devoir. Elle vole depuis des mois avec les forces de l’Alliance Galactique. Si nous avions essayé de nous faufiler dans l’affaire de Bilbringi, elle… Enfin, elle n’aurait pas aimé ça, pour rester neutre. Et quant à Tahiri – Corran s’occupe d’elle. Il en est capable ! Mais le fond du problème n’est pas là, non ?

— Que veux-tu dire ?

— Tu t’ennuies. Deux semaines sans que personne n’ait tenté de nous tuer…

— Je ne m’ennuie pas ! Mais il doit y avoir quelque chose à faire, plutôt que de rester assis à regarder des couchers de soleil !

Soupirant, Leia s’assit sur un des canapés. Puis elle lui lança un de ces fameux regards de princesse…

— En plusieurs jours, rien ne s’est produit qui exige ton intervention, Yan. Des choses se passent, mais tout pilote à peu près compétent peut s’en sortir. Du coup, le grand Yan Solo se tourne les pouces…

— Allez, ça va, assez d’ironie pour ce soir !

Yan avait commis une erreur : une ombre de tristesse passa dans les yeux de son épouse.

— Je suis très peu ironique – et peut-être pas du tout. En temps de guerre, la chose la plus importante – et la plus difficile – est parfois de rester simplement tranquille.

— Aucun doute, tu sais comment faire…, fit Yan avec une grimace.

Elle lui prit la main.

— Arrêtons là, Yan. Je pourrais te montrer autre chose que je sais faire…

— Tu crois ? C’est vraiment un très joli coucher de soleil…

Leia indiqua d’un geste la place à côté d’elle, sur le canapé.

Yan haussa les épaules.

— Après tout, quand on a vu un coucher de soleil, on les a tous vus !

 

Un cliquetis l’arracha à son sommeil. Perturbé, Yan s’ébroua, cherchant la source de ce bruit irritant.

C’était l’unité com de leur chambre à coucher.

Il se leva péniblement et ouvrit le canal.

— Oui ? grommela-t-il. J’espère que c’est pour une bonne raison…

— Pas sûr que « bon » soit un adjectif approprié, dit une voix déformée.

Ah non ! Voilà un piège dans lequel il ne retomberait pas de sitôt.

— Arrête avec ça, Droma, et raconte-moi ce qui se passe. Quelles sont les dernières inventions du réseau Ryn ?

— Je ne vois pas à quoi vous faites allusion, Solo, répliqua la voix. Mais quelque chose se passe en effet.

— Ecoutez, il est tard… non, il est tôt, dit Yan, se frottant les yeux. Expliquez-vous !

— Les Vong ont lâché un nouveau truc, il y a quelques jours. Des sortes de drones, à moins qu’ils aient mis au point des pilotes vraiment très petits.

Cette nouvelle finit de réveiller Yan.

— Quel type de drones ?

— Nous ne savons pas ce qu’ils font, si c’est ça le sens de votre question. Mais ce n’est rien de bon. J’ai cru utile de vous communiquer cette information. Vous pouvez aussi en parler aux militaires.

— Je pourrais… C’est tout ce que vous avez à me fournir ?

— Pour le moment, oui. Nous essayons d’en capturer un, mais ces trucs nous glissent entre les doigts.

— Une sorte d’arme ?

— Si je le savais, je vous le dirais. Mais les Vong en sont tout excités.

— Merci, fit Yan. Droma, si c’est toi, je n’apprécie pas la démarche. Bien sûr, la sécurité, c’est la sécurité, mais je croyais que nous deux…

Mais il parlait déjà à une unité com désactivée.

— Qui était-ce ? demanda Leia, debout derrière lui.

Yan ne l’avait pas entendue approcher, mais ce n’était pas étonnant.

— Un de nos copains du réseau Ryn, je suppose. Peut-être Droma. Tu as suivi ?

— Oui.

— Je ferais mieux de transmettre le message…

Quand Yan essaya de joindre le poste de contrôle, on le mit en attente.

TOUS LES CIRCUITS SONT RÉSERVÉS AUX COMMUNICATIONS MILITAIRES.

Après avoir injurié l’appareil, Solo se lança à la recherche de son pantalon.

— Je vais descendre, dit-il.

— Je viens avec toi.

 

Les deux époux arrivèrent dans une salle de réunion à l’atmosphère tendue, mais relativement calme. Sien Sovv les salua.

— La première vague doit y aller bientôt, dit-il. Elle est sous le commandement d’Antilles. Sa sortie de l’hyperespace est prévue dans cinq minutes.

— On peut rester ? demanda Yan. Quand vous aurez une seconde, je voudrais vous parler de quelque chose.

— Bien sûr que vous pouvez rester ! Votre fille est avec Antilles ?

— Selon mes derniers renseignements, oui. Mais ce n’est pas à cause de ça que nous sommes descendus.

— Ça peut attendre ?

— Je pense que oui, répondit Yan.

Il regarda Sovv retourner devant les écrans de contrôle. Cette situation le rendait nerveux. Il n’avait jamais passé beaucoup de temps dans les quartiers généraux, préférant agir sur le terrain et ignorer tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un ordre.

Les ordinateurs de bataille étaient une invention géniale. Mais ils ne pouvaient pas compter sur leurs instincts pour se tirer d’affaire.

— Général Sovv ! cria quelqu’un.

— Oui ?

— L’amiral Pellaeon n’a pas fait son rapport. Il aurait dû nous prévenir dès qu’il atteindrait la position de départ du saut vers Bilbringi.

— Quel est le problème ?

— L’HoloNet de cette zone semble en panne.

— Pouvez-vous amplifier le signal à partir de la zone voisine ?

— Je peux essayer.

Le technicien manipula des boutons et des touches.

— Monsieur, une communication arrive du relais d’HoloNet delta-zéro-six.

— Passez sur haut-parleurs !

Une voix énervée crachota :

— … des espèces de vaisseaux, tout petits. Ils ont l’air vong, mais ne collent avec aucun de nos schémas. Nous ne pouvons pas les détecter tous. Six d’entre eux ont…

Des parasites couvrirent la voix.

Petits vaisseaux ? pensa Yan.

Les drones que l’interlocuteur inconnu avait mentionnés ?

— Nous avons perdu le contact avec Gamma, annonça un autre officier des communications.

Il s’énerva sur ses instruments. Puis il leva la tête, très pâle :

— Monsieur, l’HoloNet est complètement mort. Je ne trouve aucun relais nulle part.

— Général, dit Yan, je crois que mon message vient de prendre une tout autre importance.

 

— L’HoloNet est hors service, confirma le général Sovv vingt minutes plus tard lors d’une réunion d’urgence du commandement central. Cause inconnue, mais nous pensons que la défaillance est due à une nouvelle arme yuuzhan vong, une sorte de drone.

— Vous pensez ? coupa Solo. Vous avez bien entendu le rapport de la station de Tantiss.

— Nous supposons que les autres postes ont été détruits de la même manière, concéda le Sullustéen. Indépendamment des détails, il semble clair qu’il s’agit d’une frappe très bien coordonnée visant le cœur de notre réseau de communication. Le moment choisi est… suspect.

— Suspect, mais sans qu’on puisse tirer des conclusions définitives, dit Bel Iblis. Ils peuvent avoir prédit que nous attaquerions bientôt – ils l’ont sans doute fait –, mais pas l’endroit.

En démantelant l’HoloNet, ils compromettent nos chances de succès quelle que soit notre cible.

— Je suis d’accord, dit Sovv. Un examen de l’heure où les relais ont cessé de fonctionner montre que les premiers ne se situaient pas près de Bilbringi. De fait, le processus semble avoir démarré il y a un certain temps, mais dans des secteurs avec qui nous échangeons peu ou pas de communications. N’empêche que tout notre raisonnement tient. Sans l’HoloNet pour coordonner les deux autres flottilles, le général Antilles est bien seul.

Jaina…, pensa Leia.

Par bonheur, elle sentait que sa fille était vivante.

— Notre bagarre à Esfandia n’a servi à rien ? dit-elle.

— Nous ne savons pas si Esfandia reste opérationnel. Mais tous les relais en direction du Noyau sont désactivés. Nous sommes aussi isolés que notre flotte.

— Le général Antilles n’est pas un débutant, rappela Bel Iblis. Les autres flottilles ont ordre de ne pas approcher de Bilbringi sans qu’il leur donne le feu vert. Quand il s’apercevra de la perte des lignes de communication, il se retirera, comme prévu.

— A condition de le pouvoir, dit Yan. Si les Vong escomptaient une attaque – et même dans le cas contraire – ils ont des interdicteurs. Il faudra que Wedge lutte pour sortir de là.

— Peut-il y parvenir ? demanda Leia.

— Non, répondit Sovv. Nos services de renseignements nous ont appris que les forces vong à Bilbringi sont trop importantes pour qu’Antilles puisse les vaincre sans aide.

— Et les Vong ne sont pas privés de communications, précisa Bel Iblis. Ils peuvent appeler des renforts à tout moment.

— Que feront Pellaeon et Kre’fey si Wedge ne les contacte pas ? s’enquit Leia.

— Pendant un temps, ils resteront en position. Quand ils seront certains qu’aucune communication ne passe…

— Oh, mais elles passeront, interrompit Yan. Quelle flottille est la plus grande ?

— Bêta – les Impériaux.

— Où sont-ils ?

— Cette information est secrète, capitaine Solo, dit le Sullustéen.

— Secrète ? cracha Yan. Cette affaire est déjà dans les choux, général. Il faut sauver les meubles.

— Que proposez-vous, Solo ? demanda Bel Iblis.

— Nous n’avons plus d’HoloNet. Les hyperondes ne suffisent pas pour de telles distances. La seule chose qui va plus vite que la lumière, ce sont des vaisseaux stellaires, et le plus rapide est le Faucon Millenium.

— Il a raison, dit Leia. Nous devons mettre en place un service de courrier, et vite. De plus, il ne s’agit pas de cette seule bataille. Les Yuuzhan Vong profiteront du black-out pour nous attaquer. Nous pourrions perdre des systèmes entiers sans le savoir.

— Certes, mais ils ne sont pas assez nombreux pour tenir ceux qu’ils ont conquis, répliqua Yan. Actuellement, notre souci principal est…

— … la flotte, fit Sovv. Exact. Général Solo, si vous êtes partant, je vous charge de monter et de gérer un service de courrier pour réorganiser les communications avec la flotte. Trouvez quatre autres vaisseaux, militaires ou non, mais avec des gens de confiance. Rétablissez la liaison entre Antilles, Pellaeon et Kre’fey. J’attends également des suggestions pour désigner quelqu’un capable de créer un service d’information plus étendu. En l’état actuel des choses, nous sommes dans le noir absolu, et nous risquons de perdre tout le terrain que nous avions gagné.